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— Naturellement. On répond toujours la vérité aux médecins.

— Vous n’avez pas essayé de jouer au plus fin, de jouer au plus malin, de duper le médecin, de lui donner illusion ?

— Vous plaisantez, docteur : je me serais considéré comme le dernier des imbéciles, et non pas comme l’avant-dernier, si j’avais voulu jouer au plus fin avec le médecin.

— Pourquoi donc, citoyen malade ?

— Parce qu’il est évident que c’est moi que j’aurais dupé ; j’aurais compromis ma future santé.

— Mais cette vérité que vous disiez à ce médecin pouvait porter atteinte à votre amour-propre.

— Je n’avais plus aucune considération, docteur, pour mon ancien amour-propre. N’espérez pas que vous ajouterez jamais, dans vos énumérations, l’honneur du malade à l’honneur du soldat. Le malade est un malheureux sans honneur professionnel.

— Nous en usons plus astucieusement pour les maladies sociales : nous masquons, nous déguisons, nous fardons, nous altérons, nous inclinons la vérité pour ne pas mécontenter, pour ne pas blesser, pour ne pas vexer tous ceux qui sont malades et qui nous contaminent, les ambitieux individuels et collectifs, les autoritaires, les unitaires, les boulangistes, les concurrents, les électroroculteurs, les parlementaires.

— Je sais ce que c’est, docteur, que les individus ambitieux individuels ; je connais moins les ambitieux collectifs.

— C’est une race d’ambitieux considérablement plus redoutable. Ce sont eux qui ont inventé les syndicats et