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les matinées poétiques

     Nouvelle ;
Mais ceci vient porter le comble à leur stupeur :
  Ils aperçoivent l’un des leurs,
    Qui, d’une couleur
     Écarlate,
  Resplendit de la tête aux pattes.
Vainement, cependant, ils lui font des saints,
  Multipliant à son adresse
  Témoignages de politesse ;
  Las ! il n’en est ni moins, ni plus,
  Le magnifique homard rouge
  Ne leur souffle mot, ni ne bouge…
  « Évidemment, il fait son fier,
Ont pensé les naïfs habitants de la mer,
  Mais nous devons lui apparaître
  Si mal mis, de si vilain air !…
     Il est clair
  Qu’il ne veut pas nous reconnaître…
  Quand donc aurons-nous, comme lui,
    L’air et les habits
     De Paris ?… »
A se réaliser, trop courte fut l’attente
  De leur rêverie imprudente :
  Le soir même, le cuisinier
  Les emportait dans son panier
  Et les plongeait dans l’eau bouillante,
  D’où leur carapace sortit.
  Et leurs pattes, rouges aussi :
      Cuits,
  Sans doute étaient-ils plus jolis,
  Et leur gloire plus éclatante…
  Mais étant cuits, ils étaient morts,
      Et alors
Qu’importent les honneurs, qu’importe le décor.
  Qu’importent la pourpre et les ors ?

  Cela fera, à ce qu’il semble.
  Mais on s’en avise trop tard.
  Une belle patte au homard,
  Comme, à l’homme, une belle jambe !…

(Fables, La Renaissance du Livre éd.)