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— Ah ! tu seras remis en liberté, ça c’est sûr, me dit-il tout à coup d’un air extrêmement dégagé, pendant que les bouts de sa grosse moustache se mettaient à trembler.

Je le vis se détourner. En ce moment j’entendis un cliquetis d’armes. Gratchef s’enfuit comme un écolier pris en faute ; il toussait en courant… On m’habilla, on me déshabilla, on me fouilla… Pendant tout cela je n’entendais que le khou, khou, khou de la toux de mon ami ; je ne voyais que sa bonne figure disparaissant avec un air effaré.


Hallucinations et léthargie.

On ne me ramena pas à mon ancienne cellule ; — je fus transporté dans une nouvelle prison. C’était une reproduction exacte de la première, avec cette différence que, dans ce nouveau lieu de détention, je ne voyais plus âme qui vive, même à l’heure du repas. Ma porte ne s’ouvrait jamais. Toutes mes relations avec le personnel de la prison avaient lieu à travers un étroit guichet. Deux fois par jour il s’ouvrait et deux grosses mains rouges me tendaient une écuelle contenant ma pitance quotidienne ; après cela, j’entendais le grincement du judas s’ouvrant et se refermant… Cela se faisait pour voir si j’avais fini de manger ; quand les mains rouges s’étaient convaincues que mon dîner était terminé, elles rouvraient le guichet, se tendaient vers moi en silence, reprenaient mon écuelle vide et se retiraient en arrière comme les tentacules d’un polype gigantesque.