Page:Pavie - Notice sur les travaux de M. Eugène Burnouf.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.

conviction, que le traducteur doit avant tout reproduire scrupuleusement la pensée qu’il interprète. Quand il abordait ces passages étincelants où la poésie jaillit comme l’éclair, où les épithètes accumulées se déroulent comme les anneaux du serpent qui se joue aux rayons du soleil, il savait distinguer les couleurs des nuances, mettre en relief l’image principale, et saisir dans la longue tirade de l’écrivain hindou, les traits principaux, les temps d’arrêts, ce qu’on peut appeler les plans du tableau. En pareille matière, c’est le goût qui décide, car, notre langue ne se prête point volontiers à la phraséologie indienne, trop abondante et trop colorée ; et le goût fut une des qualités qui distinguèrent le talent de M. E. Burnouf. Il sentait la poésie en homme d’imagination ; il la traduisait en écrivain habile, qui sait la valeur d’un mot mis à sa place.

À mesure qu’il avançait dans la publication du Bhâgavata Pourâna, M. E. Burnouf voyait s’ouvrir devant lui des perspectives nouvelles. Différent en cela du voyageur qui gravit une haute montagne, plus il montait, plus les horizons agrandis qu’il découvrait étaient clairement et nettement visibles à son regard. Dans la préface du troisième volume (1847), il semble que M. E. Burnouf revienne des bords du Gange, qu’il se soit entretenu avec les plus anciens sages du monde brahmanique ; des questions inattendues ont surgi, et il va les résoudre. Les époques indiennes, les Pourânas, le Rig-Véda, les Brâhmanas qui s’y rattachent, lui fourniront des matériaux immenses pour une étude plus approfondie des noms célèbres cités dans le neuvième livre du Bhâgavata. Dans ces monuments gigantesques de la littérature brahmanique qu’il connaît à fond, dont il a l’esprit tout plein, il a recueilli une foule d’observations qui lui permettent de suivre les modifications qu’ont subies non-seulement les idées religieuses, mais encore les légendes, unique source de l’histoire brahmanique dans les temps anciens. Il a saisi çà et là sous le voile de la poésie qui la cache toujours, sous l’idée religieuse qui l’absorbe, la vérité historique, la trace des faits, de la réalité que la critique européenne, peu habituée à croire les savants sur parole, exige d’eux, comme la preuve authentique de leurs découvertes. Après avoir suivi jusque dans ses dernières limites l’expansion de l’idée indienne, il est revenu aux sources mêmes, et plonge au plus profond de cet abîme, au-dessus duquel surnagent des masses de traditions mêlées et confondues. Ce qu’il en a rapporté, hélas ! on ne le saura qu’imparfaitement. Devant l’étendue d’un pareil travail et