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vata, après avoir tracé l’exposé du poëme et en avoir savamment discuté l’âge et les origines, M. E. Burnouf s’écrie avec l’enthousiasme et l’éclat de style qui lui sont propres : « Je ne sais si je m’abuse, mais ce mélange de poésie et de métaphysique a quelque chose de frappant, qui intéresse au moins autant qu’il étonne. Le grand défaut d’un poëme de ce genre est sans doute l’absence de ce qu’on appelle aujourd’hui la réalité. Il semble, en effet, que dans ce monde des idées où le poëte transporte le lecteur, on ne saisisse que des formes vaines, et qu’il ne soit pas plus possible à un esprit sain de vivre à de telles hauteurs, qu’il ne l’est à l’homme de respirer au sommet de l’Himalaya…… N’est-ce pas un fait digne de toute l’attention du philosophe, qu’il ait existé jadis et qu’il existe encore sous nos yeux une société, à qui des poèmes comme le Bhâgavata servent, si je puis m’exprimer ainsi, d’aliment intellectuel ? »[1]. Oui, ce qui fait de l’Inde un monde à part, c’est qu’elle a consenti à vivre toujours dans la contemplation, c’est qu’elle a accepté d’être conduite par ces sages qui, en lui chantant l’histoire des dieux, lui ont ôté jusqu’au désir de connaître la sienne ! Mais aussi, de quel sommeil profond elle a dormi cette société, que l’islamisme a frappée au cœur, et qui, au contact de l’Europe chrétienne, n’a pas même compris l’inanité des dogmes qu’elle s’obstine à garder comme l’emblème de sa nationalité et de l’antiquité de sa race !

Dans ses préfaces, M. E. Burnouf donnait la véritable mesure de son talent. Il s’y montrait, nous en avons fourni des preuves, écrivain et penseur, critique, et souvent philosophe autant que linguiste. C’est, en effet, dans ces discours préliminaires, que l’érudit, sortant du sanctuaire de ses études, se présente au public, lui fait part de ses découvertes, et reprend possession de sa liberté toute entière. Un esprit indépendant et hardi ne subit qu’avec répugnance le joug d’une traduction ; mais, s’il a affaire à un texte où tout est grand, pensée, image, expression, alors il accepte avec empressement le défi. Nourri de la lecture des auteurs classiques, grecs et latins, fidèle à la tradition de la vraie langue française, M. E. Burnouf, tout en serrant le modèle d’aussi près que possible, restait clair, intelligible, harmonieux. Quand il rencontrait une idée philosophique, et il s’en trouve à chaque pas dans le Bhâgavata, il s’attachait particulièrement à la propriété des termes, dominé par cette

  1. Tome I, page cxlv de la préface.