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Vichnou, le dieu clément, miséricordieux, sur celui de Çivâ, le dieu destructeur et terrible. Pour combattre avec plus d’énergie les tendances violentes, passionnées de la secte civaïté qui adore dans son dieu un principe d’une énergie dévorante, prompt à se venger, à détruire ce qui lui fait obstacle, la secte vichnouïte se fait compatissante et même charitable. Elle tient compte des bons désirs qui s’élèvent dans un cœur et elle admet la mortification des sens dans ce qu’ils ont de grossier. À ses yeux, l’amour du dieu purifie un homme de la dernière caste et l’élève jusqu’à la divinité aussi bien qu’un Brahmane. L’aspiration vers Vichnou est pour elle plus importante que la science des écritures. Elle enseigne à tous, aux femmes mêmes, que « la contemplation de Vichnou est comme un glaive avec lequel les hommes sages tranchent le lieu de l’action qui enchaîne la conscience. » Mais la tendresse qu’elle ressent pour les hommes, elle l’étend jusqu’aux arbres, car, eux aussi, ils vivent de la vie universelle, ils sont des expansions de la divinité. Partout la confusion et l’incohérence ; dans ces Pourânas, l’intelligence humaine, après s’être élevée à des hauteurs extraordinaires, tombe tout à coup dans des abîmes. C’est tour à tour l’élan religieux dans sa sublimité, la philosophie austère qui ressemble à la sagesse, et l’éclat de rire de la folie. Cependant, il y a quelque chose de digne d’admiration dans un système qui s’efforce toujours de saisir les rapports qui unissent l’homme à dieu. Ni la divinité, ni l’humanité même ne sont définies ; mais on sent chez les Hindous un cœur ardent, un besoin d’adorer ce qui est au delà de la terre, et comme un naïf enthousiasme pour les doctrines qui confondent la raison.

L’auteur du Bhâgavata-Pourâna s’inspire du Véda, en plaçant son système sous la protection de ce livre inspiré ; le Mahâbharata avec ses traditions héroïques et ses légendes, lui fournit l’élément poétique par excellence ; et la philosophie sânkhya, avec ses trois principes, la passion, la bonté et l’obscurité[1], lui sert à expliquer la nature des trois dieux de la triade brahmanique, comme aussi à faire ressortir la supériorité de Vichnou, représenté par le second de ces trois termes. Dans son admirable préface du tome Ier du Bhâga-

  1. La philosophie sânkhya a été le sujet d’un savant ouvrage que M. Barthélemy Saint-Hilaire a publié sous le titre de Premier mémoire sur le sânkhya, extrait du tome VIII des Mémoires de l’Académie des sciences morales et politiques.