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consommé et un critique éminent, M. E. Burnouf, prenait rang parmi les savants illustres qui faisaient faire, en Allemagne, aux études philologiques de si rapides progrès. Déjà, en 1826, il avait publié, avec M. Lassen de Bonn, — son émule et son ami, dont le nom n’a cessé de grandir, — un essai sur le Pali, la langue sacrée de la presqu’île au delà du Gange. La philologie comparée était le terrain qu’il choisissait de préférence. Son esprit sagace et ferme ne se laissait jamais égarer par les hypothèses trompeuses qui, d’ordinaire, séduisent les imaginations jeunes et vives. Il excellait à saisir les rapports qui unissent entre elles les langues d’une même famille, et à affaiblir au moyen d’ingénieuses découvertes, toujours contrôlées par la raison et l’expérience, les différences qui les séparent à première vue. Par l’étude du pali, il s’appliquait à reconnaître la marche du bouddhisme hors de l’Inde, où il a pris naissance, et à rechercher les traces de l’écriture et de la langue sanscrites chez les nations peu connues qui habitent la partie de l’Asie comprise entre Chittagong, sur le golfe du Bengale, et le pays de Siampa ou Champa, sur le golfe de Siam. Poussées par deux courants contraires, resserrées entre l’Inde et la Chine, ces populations ont gardé dans leurs croyances, dans leurs mœurs et dans leurs langues, l’empreinte de cette double influence. À mesure qu’on s’avance vers Siam, Cambodge et la Cochinchine, on est plus surpris de rencontrer des mots empruntés à l’idiome sonore de l’Inde ancienne, qui se heurtent contre les vocables chinois rebelles à toute flexion. On dirait un grand fleuve, le Gange, par exemple, essayant de refouler les vagues de l’Océan, qui résiste de tout le poids de son immensité. Pour un esprit curieux, pour un érudit passé maître dans la science de la philologie comparée, comme l’était M. E. Burnouf, il y avait un charme inexprimable et un intérêt puissant à noter ces infiltrations de la pensée indienne chez des peuples d’une autre race. Ses observations, d’ailleurs, l’aidaient à remonter le cours des âges, et à résoudre, chemin faisant, les problèmes historiques qu’il ne perdait jamais de vue, N’avait-il pas dit lui-même, à son début dans la carrière du professorat : « L’étude des mots, sans celle des idées, est inutile et frivole. » Ainsi, dans cet essai sur le pâli, la comparaison de huit alphabets de l’Inde, du Tibet, de Java et de Ceylan, avec trois alphabets de la langue sacrée au delà du Gange, établit clairement que les caractères de ces diverses contrées dérivent du dévanagari ou sanscrit. Le pâli est la langue sacrée des bouddhistes d’Ava, d’Aracan,