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ESCHYLE.

froncement de sourcil sous ses lauriers humiliés. L’échec dut lui être d’autant plus amer que, par hasard, il avait, ce jour-là, les dix généraux de Marathon pour juges, et que le soldat qu’il était resté put se croire dégradé par la main de ses anciens chefs. Ce n’était point seulement un jeune concurrent, c’était un art nouveau qu’il voyait s’avancer sur lui un art moins grand et moins fort, mais plus attrayant et plus souple. Il pressentit sans doute une décadence sous cette perfection tempérée, une décroissance dans cette réduction harmonieuse. Il prévit la détente des cordes d’airain, l’amollissement du nerf héroïque. Michel-Ange dut toiser du même œil hautain et morose, les premières fresques de Raphaël. Eschyle releva pourtant le défi. Entre les mains de son jeune rival, la tragédie s’était détachée des liens du lyrisme ; elle se pliait aux mouvements et aux variétés de la vie, le nœud dramatique s’était resserré : il accepta ce terrain nouveau. Le géant se mit en mouvement : en trois pas, comme les dieux de l’Iliade, il parcourut cette scène élargie, l’agrandit sous lui. Deux mille ans ont passé, et l’Orestie reste encore le plus terrible des drames.

Eschyle quitta Athènes après l’Orestie, et se retira en Sicile. Il y était appelé par Hiéron, un de ces rois de Syracuse qu’on prendrait pour les précurseurs des princes italiens de la Renaissance. L’Italie du sei-