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ESCHYLE.

il put s’adresser à l’autre ; l’altercation, ce ressort du drame, essaya ainsi ses premiers mouvements. Nouveauté d’une portée immense, Phrynicos introduisit la femme dans la tragédie ; avec elle, la tendresse et la pitié, la maternité et l’amour entrèrent sur la scène. Les titres qui nous ont été transmis de ses pièces (les Pleuroniennes, Actéon, Alceste, Antée, les Égyptiens, les Justes, les Conseillers, les Danaïdes, la Prise de Milet) attestent, comme des bornes miliaires, l’étonnant agrandissement du jeune art. Il va du mythe à l’épopée, et s’avance en pleine histoire contemporaine, jusqu’à la catastrophe de la veille, jusqu’à Milet saignante et fumante encore. Ici Athènes l’arrêta. Phrynicos avait mis en scène l’horrible désastre de Milet, l’alliée et la sœur d’Athènes ; il avait montré la ville pillée et incendiée par les Perses, ses défenseurs massacrés, l’oracle menaçant de Delphes accompli : « Les femmes de Milet laveront les pieds de beaucoup d’hommes à la longue chevelure. » Le peuple pleura à ce spectacle navrant ; mais, le lendemain, les yeux essuyés, il s’irrita contre le poète qui, par ces larmes brûlantes, avait ravivé sa plaie domestique : il condamna Phrynicos à une amende de dix mines et interdit à jamais son drame.

Pratinas vient ensuite, et chasse les Satyres de la tragédie, comme un troupeau de boucs infectant un temple construit sur leur ancien pâturage. Ces com-