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ESCHYLE.

tour dieu et roi, guerrier et messager, l’histrion, changeant de rôle et de visage, fit face à tous les incidents d’un mythe, s’adapta à toutes les péripéties d’une action. Le héros tragique paraissait à travers l’élément lyrique qui submergeait encore sa personne, comme un nageur qui passe sa tête au-dessus des flots. Il prononçait un discours, déclamait un récit, faisait part d’un projet ou d’un événement survenu entre deux scènes, au Chœur qui lui donnait seul la réplique. Naïveté touchante, enfance vénérable. Eschyle crie, Sophocle bégaye dans ce vagissement ; la tragédie y demande le lait sanglant qui la fera croître. On ne devrait prononcer qu’avec respect le nom de Thespis, il est un des grands ancêtres de l’art. Son nom inaugure justement une ère inscrite sur les marbres de Paros, ces Tables sacrées de l’histoire grecque. Il mérite l’épitaphe que Dioscoride lui dédia plus tard : — « C’est ici, moi, Thespis. Le premier j’ai imaginé le chant tragique, lorsque Bacchus ramenait le char des vendanges, et qu’un bouc lascif, avec une corbeille de figues attiques, était encore proposé en prix. De nouveaux poètes ont changé la forme du chant primitif, d’autres, avec le temps, viendront encore l’embellir. Mais l’honneur de l’invention, c’est à moi qu’il reste. »

Avec Thespis, la tragédie était entrée dans Athènes, la cité l’avait solennellement adoptée. Elle avait fait