Page:Paul de Saint-Victor - Les deux masques, tome 1.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
63
NAISSANCE DU THÉÂTRE.

faire connaître aux âmes, terreur et pitié, angoisse et espoir, étaient en germe dans les émotions que les contrastes de la nature suscitaient en lui.

Bacchus, plus puissamment que tout autre dieu, ouvrait l’âme à ces enthousiasmes. Son règne végétal, étendu sur les arbres fruitiers rattachés aux vignes, comprenant aussi les moissons, par son alliance avec Perséphone, l’identifiait à toute la nature. C’était donc lui surtout qui florissait et mourait selon les saisons. Sa légende, où tous les revirements de l’existence humaine étaient retracés, exaltait encore les impressions naturelles qui se dégageaient de leurs phénomènes. Dieu de joie, il était aussi un dieu de douleur. Tiré de flancs embrasés, accouché par la foudre qui dévorait sa mère, frappé de démence par une déesse hostile, attaqué par des rois qui reniaient sa divinité, aux prises avec des géants et des monstres, déchiré par les Titans, d’après d’autres mythes, il avait affronté tous les périls, surmonté toutes les épreuves d’un héros souffrant. Son culte devait donc, entre tous, agiter les âmes, les enlever dans l’allégresse et les plonger dans la tristesse. Il avait de l’hilarité et de la douleur, des éclats de rire et des flots de larmes dans le vin qu’il versait aux hommes. Tragique par ses combats et par ses traverses, comique par le train de carnaval et de faste qui formait sa