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NAISSANCE DU THÉÂTRE.

coupes d’un pur nectar qui les endort. » — Les Lénées célébraient le raisin mis sous le pressoir. Les Anthestéries fêtaient, avec la floraison de la vigne nouvelle, l’ouverture des tonneaux et la dégustation du vin fermenté. C’est alors que l’épouse de l’Archonte-roi se fiançait solennellement au dieu dans son temple : noces mystiques qui rappellent celles du Doge de Venise épousant la mer. Les Bacchanales ou Triétéries, par les danses et les orgies nocturnes des montagnes, déploraient Bacchus mourant dans le dépérissement de sa vigne, et la taille des ceps qui rappelait le martyre du dieu déchiré.

Un enthousiasme inouï exaltait ces fêtes. Blasés par l’habitude héréditaire de longs siècles sur les alternatives régulières qui flétrissent et renouvellent la nature, nous pouvons à peine comprendre les sensations d’une race encore neuve, à la vue des phénomènes que ramène le cours des saisons. La plénitude et le déclin des jours, la splendeur et la décadence du soleil, l’agonie et la convalescence des végétations, leur recrudescence éclatante après leur mort apparente, le sein de la glèbe tristement tari, puis renflé par les flots vivaces et remontants de la sève, les dépouillements de l’hiver faisant place aux luxuriances du printemps, tout cela s’animait et se personnifiait pour l’Hellène antique. Il voyait, dans ces vicissitudes de l’année, des luttes de dieux