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ESCHYLE.

ne subit de manipulations plus forcées, de plus violents frelatages. La cuve des vendanges qu’il eut pour berceau devient une sorte de chaudron magique où chaque superstition vient jeter son philtre, chaque religion un fragment d’idole, chaque Mystère un rite impur ou sanglant. Il a perdu toute personnalité distincte, toute forme vivante. En l’arrachant de la nature pour l’exalter au-dessus d’elle, ses fanatiques l’ont blessé à mort. Sous le nom déjà byzantin de Phanés — « Intelligence ou Lumière première » — il n’est plus qu’une entité abstraite, qu’un Démiurge d’école, l’enseigne indéchiffrable d’une logomachie pédantesque. Bacchus dévore les dieux, comme le Moloch punique dévorait les enfants, et ce sont aussi ses prêtres qui les lui présentent. Zeus, Pluton, Apollon, Adonis, Atys, l’Osiris égyptien, le Sabasius phrygien, s’engouffrent en lui. Il est le dieu Panthée, solaire, terrestre, infernal, d’où tout naît et en qui tout rentre, père de l’Océan, chorège des étoiles. Son hermaphroditisme caché se déclare, il a les deux sexes et il les affiche mâle et femelle, fécondant et fécondé, puissance active et passive. Son péplos, brodé par les Grâces, déroule l’univers entier dans ses plis ; son cratère est le creuset créateur où les éléments cosmiques opèrent leur mélange. Cette transfiguration apparente est, en réalité, une dissolution. Tous ces hiéroglyphes