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ESCHYLE.

lem, de Chypre à Damas, roulait un orage de sanglots, coulait une pluie de larmes brûlantes. Le simulacre en cire du jeune dieu gisait sur un lit couvert de feuillages, presque nu, son lévrier à ses pieds, les yeux fardés d’antimoine, chaussé de ses sveltes bottines de chasse, saignant à la cuisse d’une plaie de carmin. Autour du catafalque à demi voilé par les fumées des cassolettes, les pleureuses se pâmaient et se désolaient ; elles jonchaient pêle-mêle, de leurs chevelures coupées, l’oreiller du mort, battant leur sein, meurtrissant leurs joues, hurlant, jusqu’à s’enivrer de leurs cris, la litanie funéraire « Hélas ! Monseigneur ! Hélas ! où est ta Seigneurie ? » La Déesse arrivait, ceinte des cornes lunaires, à la recherche de l’amant perdu ; elle prenait sur ses genoux le gracieux cadavre, le couvrait de baisers et de cris farouches, et cette Pietà païenne surexcitait les lamentations. Mais voilà que les « Jardins d’Adonis » se reprenaient à fleurir : c’étaient de petits pots d’argile où l’on avait semé du fenouil et de la laitue, que la chaleur du soleil faisait lever rapidement. Leur floraison annonçait le miracle. Il était ressuscité « l’Unique, l’Adorable, » rendu au désir avide, à l’embrassement brûlant d’Astarté ! La fleur de la terre reverdissait en lui. Alors une furie de joie succédait à l’explosion de douleur : des prostitutions en masse fêtaient la résurrection de « l’Unique ».