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GRANDEUR ET DÉCADENCE DE BACCHUS.

bâton des Mages de Pharaon. Dans un combat corps à corps contre Dériade, le roi des Indiens, le rajah suprême, monté sur un proboscide colossal, Bacchus prend toutes les formes et revêt toutes les apparences tour à tour lion et panthère, torche volante, flot jailli du sol. Pour dernier exploit, il se change en vigne : ses pieds s’enracinent, sa chevelure se disperse en pampres, ses bras se bifurquent en rameaux noueux. Le cep merveilleux entrave l’éléphant qui trébuche dans les replis de ses jets ; il rampe jusqu’au roi accroupi sur sa vaste échine, l’étreint de ses branches, l’étouffe sous ses grappes : la bête et l’homme disparaissent dans cet inextricable réseau.

Rien n’est curieux comme de voir, dans l’épopée de Nonnos, l’Inde aux prises avec le génie hellénique qu’elle absorbe en le combattant. Sa luxuriance fantastique s’empare des sobres mythes de la Grèce, elle les complique et les enchevêtre, elle leur communique sa difformité. L’Iliade bachique est envahie par les énormités du Ramayana. L’érudition a cru, par instants, reconnaître, entre Bacchus et Rama, une parenté mystérieuse : mêmes victoires bienfaitrices, mêmes largesses faites aux hommes. Ne pourrait-on confondre de loin la troupe des Satyres dionysiaques avec l’armée des singes que le bon Hanouman, l’orang-outang héros, amène au secours