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ESCHYLE.

moquent de son chef sans barbe, à costume de femme, des folles échevelées qui l’escortent, du vieillard ventru qu’on roule à sa suite, des démons à jambes de bouc, qui courent par les rangs, criant Évohé ! Leurs éléphants, du premier choc, fouleront aux pieds cette troupe d’ivrognes, comme ils foulent eux-mêmes leurs raisins pressés dans la cuve.

Mais Bacchus les combat à coups d’enchantements. Ses légions traversent à pied sec le courant des fleuves ; il jette pêle-mêle des camps entiers, ivres-morts, dans les lacs dont il a changé l’eau en vin. Au fort des mêlées, il chasse les guerriers qui l’assaillent, comme les moustiques de leurs jungles, en les éventant d’une longue fleur. Les flèches s’émoussent sur les nébrides de ses Ménades, les casques éclatent sous le frôlement de leurs lierres, le cliquetis de leurs tambourins fait tomber à la renverse les combattants fascinés. Les éléphants, inconnus à la Grèce, ne les effrayent pas ; elles sautent d’un bond sur leur croupe, les charment par l’odeur de vin qu’elles exhalent, et jouent avec leur trompe comme avec leur serpent familier. Bacchus, qui connaît la puissance des dieux du pays, veut les surpasser en prodiges : assaut de magie, luttes de métamorphoses. On dirait qu’il défie Vischnou et Bouddha sur le champ mouvant des miracles. Son thyrse se croise avec leur lotus, comme la verge de Moïse avec le