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GRANDEUR ET DÉCADENCE DE BACCHUS.

élevé qu’Hercule dans la hiérarchie olympienne, mais rattaché aussi à la race humaine par sa mère, Bacchus, comme le fils d’Alcmène, tient du héros autant que du dieu. Son étonnante fortune vint, en partie, de cette double nature : l’homme vit en lui un homme déifié, et l’en aima davantage. Sous cet aspect à demi humain, Bacchus figure le côté aventureux de la vie, l’instinct des migrations, l’esprit des conquêtes, la civilisation hellénique domptant et absorbant les barbares, les lois et les dieux portés comme des lumières, par la force d’un bras invincible, à travers les nations sombres. Hercule, en ce sens, est son frère d’armes, le premier pair de sa table orgiaque et héroïque à la fois. Il lui fraye sa voie victorieuse, il l’initie à ses rudes travaux. Avant lui, il tue des géants, extermine des monstres. Des monuments les représentent fraternellement enlacés sur le même lit de festin.

Mais le champ de Bacchus est autrement vaste que celui d’Alcide ; son cercle embrasse l’horizon de la sphère antique. Sa vigne qui voyage et qui combat avec lui, se ramifie sur la terre entière ; il la prend sous ce filet ruisselant. Son thyrse, moitié javelot, moitié pampre, guérit, comme la lance de Diomède, les plaies qu’il fait aux peuples conquis, il répand le vin sur le sang versé. De bonne heure, le dieu part pour ses grandes guerres ; il subjugue, en courant,