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ESCHYLE.

mande au Titan ce qui lui reste encore à souffrir, quel sera le terme de son vagabondage délirant. Prométhée résiste d’abord ; les révélations qu’il a à lui faire sont par trop terribles, il voudrait que la victime poursuivit aveuglément sa sombre carrière. — « Mieux vaut pour toi ignorer que savoir », lui dit-il avec une compassion attristée. Enfin, il se rend à ses instances, et la Destinée parle par sa voix.

C’est alors que se déroule cet itinéraire moitié chimérique et moitié réel, plein de mystères et de dédales, où les zones s’amalgament et où les continents se déforment, où les chaînes des montagnes et les cours des fleuves se bouleversent, et qui résume dans son ensemble le premier Atlas de l’antiquité. C’est le monde vu à vol de Chimère, entrecoupé de clartés et d’ombres, envahi par le mirage, baigné par le songe. La géographie d’Eschyle est celle de l’Ulysse homérique et du Sindbad oriental.

La vierge « aux cornes de vache », partie des prairies de Lerne, s’est lancée dans la forêt de Dodone dont les murmures ont versé sur elle de confus oracles. Elle a traversé à la nage la mer qui portera désormais son nom, et elle est arrivée au pied de la montagne expiatoire. En reprenant sa course, Io va entrer par des plaines « qui n’ont jamais senti la charrue », dans les régions hyperboréennes. Elle y rencontrera les hordes des Scythes errants sur leurs