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GRANDEUR ET DÉCADENCE DE BACCHUS.

Mais la colère bouillonne bientôt sur la fête ; elle est l’écume de ses coupes, le vin appelle le sang dont il a la teinte. Les chants tournent en hurlements, les danses en querelles. Ce n’est pas pour rien que « l’Outrage », Hybris, le fils de l’Ivresse, marche torve et sombre, grommelant des menaces, complotant des rixes, derrière la procession de Bacchus. Lui-même, d’ailleurs, sous sa sérénité insouciante, cache et contient des instincts méchants qui éclatent parfois en meurtres soudains. On l’appelait souvent Omadios, le « Cruel », et Omestes, « Mangeant cru ». L’Omophagie était une pratique de son culte ; il contraignait ses initiés à dévorer crues les viandes de ses hécatombes. Ses vengeances, dont nous parlerons plus tard, sont marquées d’une férocité singulière. Il fut le dernier dieu, en Grèce, à exiger des victimes humaines pour le rachat des fautes commises envers lui. On sait la terrible histoire contée par Plutarque, des trois prisonniers persans de Salamine, admirablement beaux et couverts d’ornements en or, qu’on amena à Thémistocle, au moment où il sacrifiait sur sa trirème, avant la bataille. — Le prêtre qui scrutait les entrailles de la victime, en voit jaillir une grande flamme. Signe certain, présage impérieux : Bacchus Omestes a faim, il réclame la chair des captifs. Thémistocle veut résister, mais l’équipage se révolte et traîne les trois jeunes hom-