son antre, le feu le garde comme un dragon flamboyant. L’âpre hiver ne gèle plus son corps, la torche abrège l’interminable durée de ses nuits. Il ne dévore plus des chairs vives, il ne broie plus des os sous ses dents, pour en extraire un filet de moelle : ce qu’il y a de carnassier dans la viande, le feu l’amollit et le purifie ; les miasmes contagieux de férocité qu’elle recèle s’évaporent avec la cuisson. En abattant les grands arbres qu’il ronge par la base, le Feu jette aux pieds de l’homme les poutres et les solives qui construiront ses cabanes ; en creusant leurs troncs dépouillés, il lui fabrique les pirogues qui le lanceront sur les flots. L’eau que l’homme buvait, couché à plat ventre, sur la berge humide, il la rapporte maintenant du fleuve, dans l’amphore d’argile durcie à la chaleur d’un brasier. Le monde des métaux, fondu par le feu, lui ouvre un arsenal avec un trésor. Il en tire les pointes de la flèche qui percera de loin la proie que ses pieds ne pouvaient atteindre, le glaive qui ajoute un bras de bronze à sa force, et qui terrassera la brute indomptable. Les faisceaux pacifiques des instruments du travail sortent en même temps de l’enclume qui sonne l’ère du monde transformé : le soc d’où le blé va jaillir, la bêche qui va féconder la glèbe, le marteau qui façonnera l’ustensile, le frein qui domptera le cheval attelé au char ou monté par le cavalier.
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LES MYTHES DE PROMÉTHÉE.