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ESCHYLE.

pieds de haut, l’Hyène vorace des spélunques, le grand Chat à la dent en forme de glaive, l’Auroch qui traîne encore sa longévité décrépite, dans les forêts de la Lithuanie, le Sivathérium, cerf démesuré dont le front, planté de quatre énormes cornes divergentes, devait présenter l’aspect d’un cèdre ambulant. Si petit auprès de ces colosses écrasants, incapable de les attaquer ou de les dompter, l’homme fuyait à leur approche, perdu dans la foule des animaux inférieurs. Avec une ironie bien plus haute encore, Jéhovah aurait pu poser à ce Job de la nature les questions qu’il adresse à l’infirme de l’Idumée : — « Le buffle voudra-t-il te servir ? — Passera-t-il la nuit dans ton étable ?… — Essayeras-tu d’attaquer Béhémoth en face ? — De le prendre dans tes filets, de lui percer le nez ? — Tireras-tu Léviathan avec un hameçon ? — Lui serreras-tu la langue avec une corde ? — Fera-t-il un pacte avec toi ? — S’engagera-t-il pour toujours à te servir ? — Pose seulement la main sur lui, — Et tu songeras pas à recommencer le combat. »

Le Feu surgit, et un changement à vue prodigieux s’opère dans le drame de la Création. L’homme qui était son esclave, en devient subitement le roi. Il rompt la chaîne qui le rivait à l’animalité ; c’est elle maintenant qui la traîne, entravée par son nouveau maître. Les bêtes fauves n’osent plus approcher de