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ESCHYLE.

manité. Il fut un jour de la période quaternaire, où un homme agita, devant sa tribu stupéfaite, un tison qu’il avait allumé lui-même, et qu’il pouvait rallumer à sa volonté. La date de ce jour, si elle était connue, serait celle de l’avènement du genre humain à la royauté de la Création. L’homme avait fait descendre le soleil sur la terre, il était maître de la chaleur et de la lumière. Adam avait arraché son épée de feu à l’Ange qui veillait au seuil du l’Éden ; il pouvait maintenant outrer en lutte avec la nature, sûr de la vaincre et de l’asservir.

Ce qu’était, sans le feu, sa farouche et misérable existence, qui pourrait le dire ? Habitant d’une caverne vacante ou d’une hutte de rameaux grossièrement tressés, il y rentrait avec la nuit, qui s’étendait sur lui de toute sa longueur. Il gisait sous le linceul des ténèbres, l’oreille ouverte aux menaces des bruits et des souffles, flairant l’odeur de la bête furieuse en quête de son gîte usurpé. L’hiver glaçait sa demi-nudité tremblante, et le plongeait dans une torpeur douloureuse. Pour nourriture, des fruits âpres ou des chairs sanglantes, qui entretenaient en lui les appétits du cannibalisme. Faute de la proie qu’il avait manquée, c’était sur son semblable que se ruait sa faim. Pour vêtements, des pagnes de feuillages ou des peaux de fauves écorchés. Nulle autre arme que la branche sans pointe, telle que l’ar-