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LES PERSES D’ESCHYLE.

indéchiffrable. On y démêle, avec des mots orientaux, des formules d’incantation liturgique. Comme dans la double écriture d’un palimpseste, un rituel de mages transparaît sous la poésie grecque qui l’a recouvert. Cette étrangeté augmente sa puissance. Hymne violent et heurté, vraiment capable de fendre les pierres et de percer la surdité du sépulcre. Il assiège le palais funèbre, il le somme de lâcher son roi. La louange même s’y fait impérieuse, ardente, excessive ; elle enfume le tombeau d’encens, comme pour forcer le mort d’en sortir.

« M’entend-il, le Roi égal aux Dieux ? M’entend-il pousser des sons discords, confus, lamentables ? Je crie vers lui mes douleurs. M’entend-il d’en bas ? Ô Terre ! et toi, Conducteur des morts ! renvoie à lumière ce Dieu de la Perse. Renvoie en haut celui dont notre terre n’a jamais contenu le semblable. — Cher homme ! cher tombeau ! Ô Hadès ! ramène-le en haut ! Hadès ! renvoie-nous Darius ! — Certes jamais celui-là ne perdit les hommes dans une guerre désastreuse. Les Perses l’appelaient le confident des Dieux, et il était conseillé par eux, puisqu’il conduisait heureusement l’armée. — Ô Seigneur antique ! ô Baal ! viens, montre-toi, apparais sur le faîte de ce mausolée, soulevant la sandale pourprée de ton pied, et dévoile la splendeur de ta tiare royale. Viens, ô notre père, magnanime Darius ! Hélas ! — Maître de notre maître, parais ! tu apprendras des afflictions inouïes. Une nuée sortie du Styx nous a enveloppés, et voilà que toute notre jeunesse a péri ! Viens, ô père ! ô Darius sauveur ! hélas ! — Malheur ! malheur ! Ô toi qui es mort tant pleuré ! Comment cela s’est-il pu ? pourquoi ce double désastre sur ta terre, ô Roi, sur ton royaume tout entier ? Nos trirèmes ont péri, nos vaisseaux ne sont plus ! »