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GRANDEUR ET DÉCADENCE DE BACCHUS.

dirait qu’il enrôle et qu’il dresse en eux ses Bacchants futurs. Ses premières fêtes, perpétuées dans les campagnes, en dehors des pompes dont les cités les ornaient, étaient toutes champêtres et toutes populaires. On promenait autour des vignes sa statue grossière, précédée par une cruche de vin couronnée de feuilles : un bouc marchait gravement ensuite, chargé d’un panier de figues mûres ; le Phallus, symbole de fertilité, naïvement balancé aux mains d’une esclave, fermait le cortège. — En même temps, Athènes célébrait, en l’honneur du dieu, des cérémonies magnifiques. Bacchus, s’il s’en absentait un instant pour venir visiter ses premiers fidèles, devait éprouver le sentiment du pâtre arabe devenu vizir, lorsque, vêtu d’un caftan de soie et l’aigrette au front, il ouvrait la cassette où il avait renfermé son sayon de poil et son chalumeau.

Mais bientôt une attraction mystérieuse précipite vers ce dieu rustique toutes les puissances instinctives du mythe et de la légende. Elles le grandissent et le transfigurent, elles l’entrainent dans un cycle de contradictions et de métamorphoses infinies. Des grappes inextricables de fables surchargent sa tige primitive. Bacchus fermentait sous sa première forme ; il bouillonne, il déborde, il s’extravase de ce culte étroit comme une outre, sur le polythéisme entier qu’il remue et qu’il renouvelle. Le vin nouveau fait