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ESCHYLE.

grec aurait été détruit sur ses fondations. Il renaquit et il vécut de leur héroïsme, de l’air d’enthousiasme qu’elles soufflèrent sur la Grèce, et qui fut son élément pendant tout un siècle. Ce ne fut point seulement son génie qu’elles fécondèrent, mais la substance même de ses œuvres. Pour la première fois depuis Troie, les races de l’Hellade s’étaient ralliées sur les mêmes champs de bataille ; pour la première fois aussi, leurs traditions dispersées se rassemblèrent dans l’unité d’un même art. Ce fut désormais un trésor commun où la Muse tragique vint puiser l’or et l’ivoire, le bronze et le marbre de ses créations. Plus de légendes strictement locales, de mythes enracinés sur un point du sol, de héros poliades internés dans les remparts d’une cité ou dans l’horizon d’une tribu. Toutes les fables éparses du monde hellénique viennent, d’Argos ou de Thèbes, de Delphes ou de Corinthe, se transfigurer sous le ciel d’Athènes, et s’élever à la vie de l’art. Le théâtre devient le rond-point sublime des mille sentiers de la Grèce.

Cette renaissance du théâtre, après les deux guerres, fut d’une fertilité prodigieuse. L’action dramatique reproduisit les exploits de l’action guerrière. C’est presque par centaines que se comptent les tragédies des trois poètes qui, tour à tour, régnèrent sur la scène. Les émules et les concurrents qui leur