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GRANDEUR ET DÉCADENCE DE BACCHUS.

selante, la mitre inclinée sur sa chevelure aux longues tresses, chanceler avec majesté dans les nues. Une divagation sublime trouble sa parole ; le premier chant bacchique retentit sur la cime de l’Himalaya.

« De même que le vent remue les arbres, ainsi ce breuvage m’agite. Je suis enivré de Soma. — Ce breuvage m’agite comme le cheval rapide qui emporte un char. Je suis enivré de Soma. — La Prière est venue à moi comme la vache vers son nourrisson. Je suis enivré de Soma. — De même que le charron façonne son char, ainsi se réalise le vœu de la Prière. Je suis enivré de Soma. — Le Ciel et la Terre ne m’ont-ils pas ajouté une aile de plus ? Je suis enivré de Soma. — Je suis plus grand que le ciel, que cette terre que l’on dit grande. Je suis enivré de Soma. — Allons ! je veux étreindre la nuée céleste par ses deux flancs. Je suis enivré de Soma. — Une de mes ailes touche au ciel, l’autre traîne en bas. Je suis enivré de Soma — Je suis entouré de splendeur, je m’élève au-dessus de l’air. Je suis enivré de Soma. — Orné par le sacrifice, je viens prendre l’holocauste que je porte aux dieux. Je suis enivré de Soma.

On perd longtemps Bacchus de vue après cette apparition primordiale. Les Aryas, en abordant l’Asie Mineure et la Grèce, reportèrent sans doute sur le raisin le culte qu’ils avaient voué au Soma. L’entrée du dieu nouveau dans l’Hellade fut celle d’un bon Génie campagnard. Il y germe d’abord, incorporé non point seulement à la vigne, mais à tous les arbres fruitiers : les ruches lui sont aussi consacrées. Dieu paysan, son royaume tient entre les quatre