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GRANDEUR ET DÉCADENCE DE BACCHUS.

gon, tourbillon de flamme on fleuve ruisselant. Ses aventures sont innombrables, ses transformations égalent les avatars du Vischnou indien : non moins que lui mobile et nomade, prenant et rejetant toutes les formes de la vie divine et humaine, comme les costumes changeants d’une fêle éternelle. En parcourant la liste de ses surnoms, on croit entendre les cris d’une foule enthousiaste acclamant un triomphateur. La multitude des lieux de naissance qu’on lui attribue équivaut à l’ubiquité. Chaque pays de vignobles le revendique, se l’adjuge ; autant de berceaux que de cuves. On se dispute, on s’arrache le dieu indécis ; chacun en prend un membre et croit l’avoir tout entier. Les anciens mythologues comptent cinq, six, huit Bacchus, plus encore. On voit double et triple en le contemplant, il se multiplie dans la vapeur d’ivresse qui l’entoure ; toutes les sensations diverses qu’il inspire, enthousiasme ou fureur, délire ou effroi, le suscitent sous un aspect différent. Une bacchanale de Bacchus radieux et terribles, propices et funestes, pleurants et riants, triomphateurs et martyrs, qui se déroulerait de l’Ionie à la Thrace, de la Béotie à l’Attique, traversant ensuite la mer à la nage, s’essaimant sur les Cyclades, envahissant l’Archipel : on pourrait rêver ce cortège, et ce serait la vision du cercle mythique qu’il a parcouru.