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ESCHYLE.

celui du Laocoon, d’une même chaîne de douleur, apparaissent confusément dans les flammes qui dévorèrent l’œuvre d’Eschyle : Niobé, la Lycurgie, Penthée, les Prêtresses, l’Éthiopide, les Égyptiens, Memnon, le Rachat d’Hector, Prométhée porteur de feu et Prométhée délivré. — Des fantômes comiques s’y montrent aussi, riant à vide d’un énorme rire, comme des masses dont les visages se sont retirés. Ce sont ses Drames Satyriques tous anéantis : — Sisyphe transfuge, le Lion, Circé, Glaucus marin, les Rongeurs d’or, les Faiseuses de lits. Ces tragédies et ces comédies mortes errent et reviennent à l’état spectral, dans les écrits de la basse époque, évoquées par la citation d’un scholiaste ou d’un grammairien. Les mies, dépouillées de toute forme, n’ont rien gardé que leur litre, pareilles à ces « têtes vaines des morts » dont parle Ulysse, dans l’Odyssée. D’autres survivent par des traits sublimes on dirait des javelots brisés qui sifflent encore. La plupart n’ont laissé que des strophes éparses, des phrases inachevées ou insignifiantes qui rappellent ces sons confus dénués de mémoire et presque de sens, que les Ombres échangent au bord du Léthé. Rien de lugubre comme ces ruines de l’œuvre d’Eschyle : images en lambeaux, idées lézardées, cratères vides de passions éteintes, questions de dialogues tronqués qui restent éternellement sans réponse, invocations qui crient dans le