savait ce qu’ignoraient, ou ce qu’avaient oublié les autres. Seul, parmi ses contemporains, il paraît avoir retenu le sens naturaliste des vieux mythes : l’Aryen reparaît en lui sous l’Hellène. On croirait qu’il a fait partie des migrations primitives descendues des plateaux de la haute Asie sur les rives de la mer Égée. Ses drames vous découvrent, par delà les plans lumineux des siècles classiques, une Grèce obscure, antéhistorique, demi-orientale. Ils vous transportent aux âges reculés où les Divinités védiques que la mythologie d’Homère devait abolir, régnaient toujours défigurées, mais vivantes, sur des peuplades à demi sauvages. En ce temps-là, les dieux jeunes et beaux, éloquents et nobles qui peuplent les poèmes et les sculptures helléniques, n’existaient encore qu’à l’état brut. Les Pélasges avaient épaissi, sans les modeler, les phénomènes physiques qu’adoraient leurs pères sous des appellations transparentes. La main de l’artiste, la parole du poète n’avaient pas dégrossi ces dieux ébauchés. Le vague du mythe physique se mêlait en eux à la monstruosité du fétiche. Zeus, avant de se condenser dans la grandiose figure du roi de l’Olympe, errait dans les orages de l’atmosphère, à peine figuré par une idole à trois yeux. Arès, avant d’être forgé dans sa splendide armure, sur l’enclume de l’épopée, n’était qu’un vieux glaive rongé par la rouille, auquel on donnait à boire des filets de sang.
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ESCHYLE.