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ESCHYLE.

thée se tait, pendant que la Puissance et la Force le clouent sur le sommet du Caucase. Dans deux de ses tragédies perdues, Achille n’exprimait son deuil de Patrocle que par un mutisme farouche. Niobé, « la couveuse de tombeaux », comme il l’appelait, restait assise sur le sépulcre de ses enfants, enveloppée d’un voile qui la couvrait de la tête aux pieds. Cariatide des douleurs du drame, elle les portait sans même soupirer.

Mais cette tragédie de style lapidaire, à moitié prise dans le bloc d’un art ébauché, est aussi vivante que le plus libre des drames. Un enthousiasme entraînant anime ses formes massives, et les monte au comble du pathétique et de la terreur. Ce sont les pierres d’Amphion, remuées par la lyre, qui s’ébranlent, s’agitent, se soulèvent, et construisent d’elles-mêmes la cité où s’entasse un peuple. Le génie du poète est d’une ardeur si puissante qu’il pénètre de son feu et de son éclat les lourdes enveloppes qui pèsent sur lui. Ces actions formidables qu’aucun incident ne fait dévier de leur pente droite, roulent sur l’esprit d’un train d’ouragan. L’orage s’amasse, il gronde, il éclate ; cette logique de la foudre est aussi celle des fables d’Eschyle. Des hautes régions du lyrisme, son dialogue descend d’un coup d’aile sur le terrain du combat. Alors la réplique croise l’apostrophe, le défi pare la menace, la résolu-