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ESCHYLE.

étalés sur une même surface, sans autres gradations que celles de l’ombre ou de la lumière qui les frappent Tour à tour éclairés par l’espoir ou assombris par l’angoisse, leurs groupes n’en restent pas moins immobiles. Quoiqu’il l’ait si puissamment déblayé, le théâtre est encore obstrué, chez lui, par les débris du vieil art. Des récits épiques s’amoncellent entre les intervalles du dialogue. Les personnages interrompus, chaque instant, par le chant des Chœurs, semblent lutter et au bord de la mer. Souvent leur rôle n’est qu’une clameur indéfiniment prolongée. « Le vent des hymnes lugubres, » comme il a dit quelque part, les enroule dans son tourbillon. Les lamentations des Suppliantes ont la monotonie d’un long psaume de deuil. Xerxès n’apparaît dans les Perses que pour crier avec le Chœur et mener l’orchestre de ses gémissements. Ses héros expriment un sentiment immuable. Leur attitude violente et grandiose semble scellée à un piédestal. Il y a de la simplification du profil dans le dessin tranchant de ces figures solennelles, imperturbablement tournées vers une idée fixe. Pour éloquence, le poète leur donnait parfois le silence. Il y avait, dans le vestiaire du théâtre ancien, un masque aux dents serrées, aux lèvres crispées, destiné à l’acteur muet de la pièce ; Eschyle se servait souvent de ce masque-là. Il aimait les silentiaires et les taciturnes. — Promé-