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fixant sur une couche de mastic frais pour qu’elles ne bougeassent pas, je passai ma main doucement sur sa joue. Elle sentit une main étrangère, mais amie et délicatement je lui pris la tête dans mes deux mains et lui dirigeant le nez sur la première lettre je la fis lire ainsi toutes les lettres lentement, en suivant leur contour. Un pâle sourire éclairait son doux visage et elle scanda à haute voix : je suis le fils du juge de paix…

J’écrivis une seconde phrase avec mes lettres de bois, et, cette fois, elle lut toute seule avec le bout de son nez :

Je suis un ami, parlez, je ferai tout ce que vous voudrez.

Elle répondit lentement :

— Il ne me reste plus rien que les caresses de mes parents que je perçois encore sur mes joues et je n’ai même pas la consolation du goût, car je ne suis pas gourmande. À vingt ans, je suis enfermée vivante dans un tombeau, puisque je n’ai plus aucun moyen de communiquer avec le monde extérieur. Sans votre ingénieuse idée, Monsieur, je n’aurais jamais su qu’un être humain, en dehors de mon père et de ma mère, pouvait s’intéresser à moi… Oui, je revois mes voyages par la pensée, mais c’est pour moi un nouveau supplice. Mes parents vous auront dit que j’aime mon cousin. Est-ce qu’on a le droit d’avoir un cœur quand on est un paquet comme moi, sans bras ni jambes ?

Elle se tut et se reprenant, elle me dit gra-