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presque l’air comme tout le monde, sa figure respirant vraiment la jeunesse, la santé et la joie de vivre !

Je passe sous silence les discussions épiques qui eurent lieu entre les parents et le tailleur rapace et sa femme qui prétendaient que c’était encore à eux que l’on devait de l’argent, ajoutant qu’ils avaient nourri la jeune fille pendant trois ans et lui avaient procuré l’honneur d’être reçue par toutes les cours de l’Europe ! (sic).

Il y a parfois dans l’âme relativement obscure des paysans des replis cachés qui recèlent des abîmes de rapacité féroce et ces petits artisans en donnaient un exemple qui dépassait vraiment les bornes permises…

À ce moment les parents qui, en définitive, étaient de braves gens, étaient très fiers de leur fille, mais hélas ! cela ne donnait guère de pain à la maison, car ils ne pouvaient pas l’exhiber comme le tailleur…

Deux ans se passèrent et un jour comme j’étais venu de Paris pendant quelques temps à Mer, je revis la pauvre fille ; elle avait failli mourir d’une congestion cérébrale et était devenue subitement aveugle.

J’ai vu bien des choses affreuses dans ma vie, je n’ai jamais rien vu d’aussi poignant, surtout si l’on pense qu’Amanda avait conservé toute sa vive intelligence, toute sa sensibilité et qu’elle n’était plus, qu’elle ne pouvait plus être en communication avec le monde extérieur, en pleine jeunesse,