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est restée vivante et vivace dans le reliquaire de mes souvenirs !

Quel est l’homme instruit, l’érudit des choses de Paris, l’amoureux de la grande Révolution émancipatrice qui n’ait présent à la mémoire toutes ces jolies boutiques de modistes dans les galeries de bois, au Palais-Royal ? Elles menaient de front, souvent, un métier un peu plus lucratif et, comme elles avaient chacune un ruban ou un nœud de velours de couleur différente au cou, l’acheteur n’avait qu’à désigner la couleur d’un chapeau pour être servi par la demoiselle de son choix et, tout en choisissant, obtenir un rendez-vous pour le soir, après la fermeture du magasin.

Ah ! oui, ces galeries de bois furent bien le triomphe des jolies et accortes modistes parisiennes sous le Directoire.

Depuis, tout enfant, j’ai souvent accompagné ma mère au défunt passage du Saumon pour aller acheter un chapeau. Mais c’était bourgeois, triste et sombre en diable. Et puis c’était trop vertueux, et instinctivement, tout enfant que j’étais, bercé par la constante évocation des souvenirs de la Révolution, au moment même où mon père écrivait sa grande épopée nationale des Girondins, je me prenais à regretter, avec un sentiment esthétique très sûr, les douces et provocantes figures des petites modistes des galeries de bois, tandis que Camille Desmoulins enflammait le peuple dans les jardins du Palais-Royal.

Avec quel plaisir, plus tard, il y a une dizaine