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forte constitution triomphèrent du mal et trois semaines plus tard, comme elle allait mieux et que le roi, son royal époux, était penché sur elle, d’un coup droit et sûr, elle lui plongea son mince stylet retrouvé en plein cœur en criant éperdue :

— Je ne connais rien, moi, à la question d’État.

Le roi fut enterré en grande pompe et la reine enfermée dans une maison de folles.

Huit mois plus tard, elle accouchait d’un superbe garçon. Elle avait demandé à lui donner le sein, on ne tarda pas à retrouver l’enfant étouffé à côté d’elle ; et comme les ministres, les magistrats et les argousins supérieurs faisaient mine de vouloir l’interroger, elle leur répondit tranquillement :

— Que voulez-vous, je ne connais rien à la raison d’État.

Et c’est tout ce que l’on put en tirer.

Maintenant, mes chères lectrices, quelle que soit votre opinion sur ce cas de conscience, et sans vouloir préjuger de la folie politique du roi ou de la folie vertueuse de la reine, j’ai tenu à vous conter cette histoire vraie, d’abord pour vous montrer le danger d’avoir trop de filles, quand on est reine ou impératrice et ensuite pour vous faire bien comprendre que tout le drame du Konak de Serbie et de la pauvre reine Draga n’était vraiment que de la gnognotte à côté du drame intime, poignant, vécu, réel et tout à fait Shakespearien cette fois que je viens de vous