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Préface

elle se léchait les flancs. Tout à coup, il y eut un cri d’angoisse. La vache pliait le rein et fléchissait comme font les bêtes pour se coucher. Le choc du sol allait évidemment faire détoner le pétard. En deux pesantes secousses la bête s’assit ; et elle se prit à considérer fixement l’horizon.

On ne savait que faire. La nuit se passa dans les pires angoisses. La vache qui, au crépuscule, étonnée d’être laissée aux champs, s’était décidée à rentrer seule, avait trouvé la porte de son étable fermée. Elle erra dans la ville, semant l’épouvante. On lui jetait des pierres, qui la faisaient fuir au petit galop, nouveau sujet d’effroi. Le danger écarté, on n’osait pas se rendormir. Toute la nuit, l’oreille au guet, on attendit la décharge…

Le jour parut, l’on tint conseil. On décida de mener la vache anarchiste dans un pré lointain et clos. Quatre courageux citoyens se dévouèrent ; ils s’approchèrent de cette mine vivante, lui passèrent une corde au cou et, prudemment, la menèrent à l’enclos, puis s’en revinrent, rapides, et sans oser tourner la tête…

La vache vécut du jeudi au samedi : la terreur se calmait ; on parlait de la ramener. Le samedi matin, elle se coucha sur le flanc et mourut. Mais c’était de faim.

Très symbolique, cette histoire, n’est-ce pas ? La Fontaine en eût fait sans doute une assez jolie fable.