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de la seine à la volga.

Maintes fois, pendant l’hiver, j’étais allé avec trois autres lieutenants apprendre la manœuvre de la rame et de la godille sous la direction d’un adjudant. Cette manœuvre nous amenait toujours à un café de la ville ou à une auberge des bords de la Maine, et, pendant que mes compagnons s’ennuyaient comme s’ils eussent ramé sur les galères de l’État, je songeais que ces promenades seraient bien plus intéressantes sur un bateau léger, en dehors des quais de la ville. Mais il ne fallait chercher alors au régiment ni bateau léger pour me porter, ni camarade pour me guider dans cette voie. On y professait quelque dédain pour le canotage, et on ne se doutait pas que cet exercice aurait intéressé les officiers à la navigation, partie essentielle de leur métier, et les aurait préparés aux reconnaissances de fleuves et de rivières, dont on ne se souciait guère, il est vrai, à cette époque. En le pratiquant, plusieurs d’entre eux auraient sans doute appris à nager, et on ne les aurait peut-être pas vus, aux manœuvres de pontage, hésiter à passer d’un bateau à l’autre sur une étroite poutrelle, au-dessus de l’eau rapide où ils ont failli plus d’une fois laisser leur vie.

Un beau jour, j’allai au port de Reculée, en amont de la ville, trouver un constructeur de canots, habile et bien connu. Il me confia une périssoire des plus sommaires, une pagaie, un pantalon de treillis et un gilet de flanelle, et je partis pour faire mes premiers essais, sans chapeau ni chaussures. Très étonné de ne pas chavirer dès le début, je m’enhardis, je fis le tour de l’île Saint-Aubin, qu’embrassent la Sarthe et la Mayenne avant de se réunir, et je rentrai au port, après avoir fait quinze kilomètres, tête nue sous le soleil ardent, les pieds dans l’eau, tout mouillé, mais content.