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LA POLITIQUE COLONIALE DE 1789 À 1830.

cette abomination sociale. Les négociants métropolitains alimentaient d'esclaves nos colonies, et ce commerce productif provoquait un mouvement d’affaires d’environ soixante millions par an. La question de l'esclavage était pourtant posée par l’opinion publique. Philosophes, économistes, toute la nation, sauf les commerçants et les colons, condamnait la traite, le préjugé de la couleur, et l’inégalité sociale. Le conflit existait déjà, mais à l’état latent entre les intérêts et les sentiments. Avec la Révolution la crise allait passer à l’état aigu.

Au moment des élections de 1789, la question de l’esclavage provoqua un grand émoi. Elle fut abordée directement dans 44 cahiers[1], dont 24 du Tiers État, 14 du clergé et 8 de la noblesse. 28 de ces cahiers vont jusqu’à l’abolition, 15 s’en tiennent à l’adoucissement, un seul, celui du Tiers État de Nantes, demande protection pour la traite. Ce sont surtout des spéculatifs, prêtres, avocats, rentiers qui posent la question de l’esclavage, mais des villes maritimes ou industrielles ne vient aucune consultation. On dirait que les intéressés ont organisé une sorte de conspiration du silence, mais les événements sont plus forts que leur volonté, et bientôt ils seront obligés de démasquer leurs batteries.

Dès 1787 Brissot, Sièyes et Condorcet avaient fondé une société dite des Amis des Noirs[2]. Mirabeau, La Fayette, Pétion, Clavière, Grégoire, Pelletier de Saint-Fargeau, Carra, Bergasse en furent les membres les plus en vue. Un grand nombre d’adhérents, réunissant toutes les classes sociales, furent affiliés à cette société. On y agita, même avant la Révolution, les idées, alors révolutionnaires, de liberté et d’égalité. Aussi fut-elle très influente. Il est vrai que les partisans de l’esclavage se constituèrent aussitôt en société adverse, dite, du nom de l’hôtel où elle se réunissait, société de Massiac. Le marquis de Gallifet, Billard, Cormier, Duval-Sanadon, Moreau de Saint-Méry, de Ségur, La Roche-Jacquelin en furent les membres les plus influents. Ce furent des réactionnaires

  1. Deschamps, ouv. cité, p. 41.
  2. Léon Cahen, La Société des Amis des Noirs et Condorcet (Révolution Française du 14 juin 1906), Schefer, ouv. cité, p. 36, 57.