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LA GRANGE-BATELIÈRE

La tendresse le rendait éloquent : jamais le cri de son cœur n’avait jailli avec tant de ferveur. Il attira Mathurine à lui et posa sur ton front un long, long baiser qui les fit tous deux tressaillir de bonheur et d’espérance.

— Oh là ! mes agneaux !… s’écria la vieille du seuil de la porte, c’est très joli de s’aimer, mais il faudrait que notre blessé songe à se lever et à aller retrouver son ami Cocardasse.

Ce fut une ombre au tableau.

Amable et Mathurine détournèrent les yeux l’un de l’autre. Tous deux croyaient voir la grande ombre du Gascon se dresser entre eux comme un reproche.

La rebouteuse n’avait pourtant pas eu l’intention de les attrister, et le but qu’elle se proposait était plutôt louable. Aussi reprit-elle :

— Quand vous saurez ce qu’est devenu votre ami vous reviendrez prendre ensemble des nouvelles de Mathurine. En attendant, vos habits sont secs et c’est l’heure de décamper.

La Normande voulut rendre à Passepoil l’argent qu’elle avait repris à la Paillarde, mais celui-ci protesta et exigea qu’elle le gardât pour elle.

Un quart d’heure après, en lui envoyant des baisers tant qu’il fut en vue, le prévôt reprenait à son tour le chemin de l’hôtel de Nevers et le bonheur qui était en lui, — on dit, non sans raison, que le bonheur rend égoïste, — effaçait presque l’inquiétude qu’il ressentait de n’y point retrouver Cocardasse.

Le Gascon, justement, se promenait de long en large dans la cour de l’hôtel et s’objurguait lui-même en mettant à contribution ses plus redoutables jurons. Il s’en voulait surtout de ne pouvoir pleurer.

Quand les deux vieux amis s’aperçurent ils restèrent un instant silencieux et comme frappés de stupeur. C’est tout juste s’ils ne tombèrent pas à la renverse, car ils se faisaient mutuellement l’effet de deux revenants. Enfin, avec une précision et un ensemble touchants, ils se précipitèrent dans les bras l’un de l’autre et furent longtemps à s’étreindre.

— Capédédiou !… ma pauvre caillou ! clama le Méridional dès que la parole lui revint ; je t’avais cru bien mort et tout ce que j’avais bu hier il s’était transformé en larmes, de quoi emplir un demi-muid.

— Moi aussi, je croyais que je ne te reverrais jamais… Mais qui t’a sauvé, toi ?

— Ver, Cocardasse Junior donc !… Et toi, pétiou ?

— Une femme, mon noble ami Cocardasse !… un ange que j’aimerai, que je bénirai toute ma vie…

— Oïmé !… lou couquin il flamberait même au fond de la mer !

— Toujours ! Et c’est si bon de devoir la vie à une femme qui vous aime !

— Té, mon bon, tu deviens fade. L’amitié elle est encore, après le vin, ce qu’il y a de mieux !

On ne tua pas le veau gras pour célébrer le retour de Passepoil ; mais Chaverny, Aurore, dona Cruz et les autres qui, sur les dires de Cocardasse, l’avaient cru mort, furent heureux de constater que non seulement il ne revenait pas éclopé, mais que jamais il ne s’était senti si heureux.

Dès l’après-midi, dans sa hâte d’emmener Cocardasse auprès de l’objet de sa flamme et de se jeter aux genoux de sa bien-aimée pour lui rendre grâces, il entraîna le Gascon vers la fameuse cabane. Quelle ne fut pas sa