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COCARDASSE ET PASSEPOIL

— Où suis-je ? demanda-t-il en jetant autour de lui des regards effarés ; cherchant à comprendre dans quel lieu il se trouvait.

— C’est bon, tais ton bec ! intima rudement la rebouteuse ; on te le dira tout à l’heure, mon pays, car tu dois être de Bretagne, comme moi, si je puis en juger à la dureté de ton crâne… Pour l’instant tu n’as rien de mieux à faire que de dormir et je vais t’enlever tes vêtements, qui ont le plus grand besoin d’être lavés et séchés.

Elle fie mit en devoir de déshabiller maître Passepoil, lava soigneusement sa blessure et, le recouvrant de tout ce qui lui tomba sous la main, lui enjoignit de dormir pendant une heure ou deux.

Soit sous l’emprise d’une immense lassitude, soit plutôt par la vertu du breuvage qu’il venait d’avaler, le prévôt ferma les yeux et tomba dans un profond sommeil.

Les deux femmes procédèrent alors au nettoyage de ses vêtements, qu’elles mirent sécher devant l’âtre, puis elles vinrent s’asseoir à son chevet.

— Conte-moi un peu ce qui s’est passé, demanda la commère, surtout ne mens pas. Je m’en apercevrais sûrement et je vous flanquerais dehors, toi et ton homme.

— Pourquoi vous mentirais-je ? répliqua Mathurine que cette menace n’impressionnait nullement pour elle, mais elle tenait à ce que Passepoil ne manquât pas des soins nécessaires.

— Qui es-tu d’abord… et qui est-il ?… questionna la vieille.

L’interlocutrice de la Normande lui inspirait sans doute plus de terreur que de confiance. Cependant, comme il n’était pas dans sa coutume de mentir et qu’elle n’avait aucun reproche à se faire, elle commença sans difficulté aucune le récit des événements qui s’étaient passés depuis la première fois que les prévôts avaient mis les pieds au Trou-Punais, jusqu’à l’heure actuelle.

— Je vois que tu parles franchement, jeunesse, fit la vieille après l’avoir écoutée avec attention. Pourtant, il est une chose que tu ne veux pas me dire et que je voudrais savoir : pourquoi as-tu fait cela pour lui ?

Mathurine rougit jusqu’aux oreilles et se mit à rouler les coins de son tablier.

La rebouteuse eut un rire de crécelle et murmura d’une voix adoucie, comme oxydée :

— Je comprends maintenant. Je ne t’en demande pas plus. Tu es une brave fille et ne t’inquiète pas, d’ici une heure ton amoureux pourra te le dire lui-même.

— Vous êtes bien sûre de le guérir ?

— Cela ne sera pas un miracle. La fraîcheur de l’eau, après le coup qu’il a reçu sur la tête et qui l’a à moitié assommé, a achevé de l’étourdir ; quant à son autre blessure, elle ne compte pas.

— Oh ! merci, s’écria Mathurine qui tira une seconde pièce de monnaie de sa poche et la tendit à la femme.

Ce nouvel argument devait mettre cette dernière tout à son service. Aussi se fit-elle quasi-maternelle et, prenant dans sa main celle de la jeune fille elle demanda :

— Et que comptes-tu faire ? Je connais la Paillarde et je crois qu’il vaudrait mieux pour toi ne pas retourner chez elle.