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LA GRANGE-BATELIÈRE

sait. Il eût trouvé trop de lames inactives prêtes à se mettre à sa dévotion, pour réclamer ensuite leur part de récompense.

Tout au contraire, il clama contre le malheur des temps, où les bonnes aubaines se faisaient rares ; et, sous le prétexte d’en découvrir au moins une, la Baleine et lui s’absentaient souvent pour aller battre la ville.

De leur côté, Yves de Jugan et le jeune Pinto s’étaient introduits au Trou-Punais et avaient élu domicile chez la Paillarde, qui s’était empressée de les accueillir avec beaucoup de sollicitude.

Outre le charme de leur jeunesse, qui ne la laissait pas indifférente, elle prévoyait que ces deux jeunes coqs seraient faciles à plumer et elle s’y était aussitôt employée.

Toutefois, Gendry, ayant prévu avant elle ce détail, avait mis les économies des jouvenceaux en lieu sûr, c’est-à-dire au plus profond de sa poche.

— Ce sera tout bénéfice pour moi, s’était-il dit, soit qu’ils viennent à disparaître d’un coup d’épée, soit qu’on les envoie prendre de l’âge sur les galères du roi.

Si les quatre hommes paraissaient ne pas se connaître quand ils sortaient, par couples, des deux cabarets rivaux, ils ne tardaient cependant pas à se rejoindre aux alentours du Pré-aux-Clercs pour se concerter ou agir en commun, et eussent-ils même été rencontrés de compagnie par l’illustre Blancrochet que celui-ci n’en eût conçu aucun soupçon.

Lagardère était toujours absent de Paris.

Suivant sa recommandation, Aurore et doña Cruz se confinaient dans leur hôtel, où Chaverny et Navailles s’efforçaient de les égayer autant qu’il était en leur pouvoir.

Ils suffisaient tout au moins à les protéger contre n’importe quelle tentative, d’autant plus qu’Antoine Laho, ne sortant jamais des appartements, faisait bonne garde autour d’elles.

Mais cette inaction pesait singulièrement à Cocardasse et à Passepoil. Le premier n’osait pas boire à sa soif, de peur de se trouver ivre devant les dames, et les maritornes de la princesse se montraient plus qu’insensibles aux amabilités du second.

— Eh ! pitchoun !… dit un jour le Gascon, ne trouves-tu pas qu’on se rouille un peu le bras et le gosier ?…

— Tu dis vrai, mon noble ami, répondit frère Passepoil. On voit toujours ici les mêmes figures, tandis qu’il y a par la ville tant de minois fripons…

— Eh ! pardieu… va les voir, s’écria en riant Chaverny que ni l’un ni l’autre n’avaient entendu venir. Nous n’avons pas besoin de vous ici et je vous donne campo pour tout l’après-midi ; toutefois, j’entends qu’à la nuit vous soyez de retour.

Le visage des deux prévôts s’éclaira :

— On y sera, foi de Cocardasse, eh donc ! déclara celui-ci, nous allons voir si ce couquin de soleil il est toujours aussi haut perché et nous ferons notre retraite avec lui.

Une fois dans la rue, ils prirent le vent, ne sachant trop de quel côté diriger leurs pas. Le Gascon opinait pour aller humer l’air et le vin de la campagne ; le Normand se tâtait devant un problème fort ardu : les Parisiennes étaient certainement plus accortes, mais seraient-elles aussi faciles que les robustes filles des faubourgs ?