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LA GRANGE-BATELIÈRE

Normande était trop prudente pour sacrifier le certain à l’incertain,

— Allons, se dit-elle, puisque le pauvre garçon ne peut faire un mouvement, il me faut trouver le moyen de le cacher aux alentours au moins jusqu’au jour.

La réalisation de ce projet était difficile, et pour le tenter, il fallait être de la force de Mathurine, d’autant mieux qu’elle n’avait pas devant elle le temps de l’étudier à loisir, car les torches se rapprochaient de plus en plus et le moment était venu de prendre une décision rapide.

Elle glissa donc son pistolet dans son corsage, accrocha comme elle le put sa lumière à sa ceinture et, en robuste paysanne qu’elle était, se mit en devoir de charger Passepoil sur ses épaules.

Le prévôt était lourd de son inertie d’abord et aussi de l’eau et de la boue dont ses vêtements étaient imprégnés. La Cauchoise sentait ses forces se décupler devant l’imminence du danger et c’est ainsi qu’elle parvint à installer du mieux possible le blessé sur son dos.

Alors elle se mit péniblement en marche, sans savoir où elle allait, en suivant l’égout qui la mènerait bien à quelque maison dans laquelle elle demanderait asile pour elle et pour celui qu’elle voulait sauver.

Il lui arriva souvent de trébucher et de faiblir sous le poids ; mais un courage surhumain lui donnait la force de se relever, même de hâter le pas, sans qu’elle osât se retourner en arrière, de crainte de voir qu’elle était poursuivie.

À peine avait-elle fait cinq ou six cent pas lorsque Cocardasse revint avec les soldats sur le pont. Comme la lumière que portait Mathurine s’était éteinte, il fut impossible à ceux-ci, non seulement de la voir, mais même de supposer que Passepoil était encore là un instant avant leur arrivée.


XV

UN AMOUR SÉRIEUX


Lorsqu’un léger brouillard, se balançant à fleur de terre, vint à se faire voir, enfermant le pied des arbres, des buissons et la base des constructions épaisses dans une robe de vapeurs cotonneuses, et lorsque l’aube, se montrant enfin, vint peu à peu dessiner la forme des choses, Mathurine poussa un soupir de soulagement.

Depuis un moment, elle marchait à l’aventure, sans savoir où elle allait. En cet instant même elle ignorait absolument où elle se trouvait, mais elle avait conscience que tout danger était écarté, et ce fut avec une joie profonde qu’elle aperçut à quelque distance une cabane délabrée et de piètre apparence.

Elle pouvait dans tous les cas y déposer son fardeau pour aller chercher de l’aide.

D’un dernier effort elle y parvint. Ses heurts contre la porte n’amenèrent d’abord aucun résultat. La cabane semblait abandonnée. Elle redoubla, frappant la planche vermoulue tantôt de son poing, tantôt de son pied.