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COCARDASSE ET PASSEPOIL

Puis se glissant derrière un buisson, elle se coucha presque et retint son souffle, ce qui ne l’empêcha pas de presser fortement dans sa main droite la crosse d’un pistolet tout armé.

Quatre hommes qu’elle connaissait bien passèrent tout près d’elle sans qu’elle fit un mouvement. Cependant, ils avaient prononcé son nom et ne cachaient pas les projets qu’ils formaient sur sa personne. Elle en sourit et ne s’en émut pas, toute confiante qu’elle était dans son sang-froid, qui, à son insu, n’était rien moins que de l’héroïsme.

Gendry ayant aussi parlé de l’égout, pour un peu elle l’eût remercié de ces quelques mots qui lui disaient où il fallait chercher.

Elle savait bien qu’assez fréquemment on retirait des cadavres de ce canal, mais on lui avait aussi affirmé que parfois, certains des malheureux qui y étaient précipités, avaient l’extraordinaire bonne fortune d’en sortir vivants.

Cependant, elle ne laissait pas d’être inquiète en songeant que le plongeon avait dû être précédé de quelques coups d’épée.

Elle attendit donc que les bandits se fussent suffisamment éloignés, et persuadée qu’elle n’avait plus rien à craindre d’eux pour le moment, elle reprit sa marche en toute hâte.

Arrivée sur le pont, elle s’agenouilla, promena sa lumière sur la surface noire de l’eau. La vue du feutre de Cocardasse, arrêté par une branche sèche qui s’était accrochée à l’un des piliers, la frappa tout d’abord.

Si, d’un côté, le chapeau pouvait se trouver là sans l’homme, par contre rien ne prouvait qu’ils n’y fussent pas tous les deux. En poursuivant ces déductions, Mathurine en vint à conclure que si le Gascon y était, elle risquait fort d’y rencontrer Passepoil.

Comme elle se préoccupait surtout de ce dernier, elle commença par l’appeler à bas bruit.

Sa voix se perdit dans les ténèbres ; personne ne lui répondit.

Alors elle se signa, prise d’un tremblement devant ce suaire liquide sous lequel étaient peut-être étendus les deux prévôts.

Mathurine n’était pas femme à borner là sa belle conduite. Son signe de croix ne pouvant leur être utile qu’au cas où ils seraient réellement en train d’accomplir le grand voyage, minutieusement, pas à pas, le corps ployé en deux, elle se mit à explorer les berges, sans négliger ni une ornière, ni le moindre buisson.

Elle pensait que le courant, peu rapide cependant, aurait pu rouler les corps ; aussi tout d’abord se mit-elle à chercher en aval sans le moindre succès.

Le découragement commençait à la prendre quand elle remonta sur le pont, à l’endroit où, un quart d’heure avant, Cocardasse se posait la même question qu’elle : Où est Passepoil ?

Bien malavisé avait-il été de le quitter, car peut-être qu’à eux deux ils eussent trouvé ce qu’ils cherchaient séparément.

L’oreille tendue, Mathurine écouta encore. Il lui sembla entendre à quelque distance un bruit très faible.

Ce pouvait être un oiseau de nuit, un animal rôdeur, ou peut-être quelqu’un ?


Si ce quelqu’un était hostile, elle avait de quoi lui répondre.

La Normande, espérant toujours, s’aventura donc sur la rive droite de