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COCARDASSE ET PASSEPOIL


XIV

BRAVE FILLE


On ne pense pas à tout…

S’il était venu à l’idée de Cocardasse ou à celle des quatre soldats qui l’avaient accompagné, de porter un peu plus loin leurs explorations et de remonter à deux cents pas en aval, peut-être eussent-ils remarqué sur le bord du canal des traces de pas toutes fraîches ?

On peut dire de même que si le Gascon ne se fût décidé à aller au loin chercher de l’aide, il eût pu voir que l’aide était venue toute seule.

Mais gardons-nous de le blâmer, il avait agi pour ce qu’il croyait le mieux et, dans des circonstances aussi critiques, sait-on jamais ce qu’il faut faire ou ne pas faire ?

Passepoil, on s’en souvient, n’avait reçu qu’une blessure assez légère ; néanmoins, au contact de l’eau, celle-ci s’était mise à saigner avec abondance.

Pour comble de malchance, au lieu de tomber sur ses pieds comme son noble ami, le Normand avait essayé de s’accrocher aux mauvaises poutres qui saillaient en longueurs inégales, sous le tablier de planches du pont, et son effort avait abouti à ce résultat de le faire choir en arrière, les jambes en l’air, si bien qu’il s’était écroulé dans la vase la tête la première.

Soyons juste, c’était là déjà une assez mauvaise condition pour reprendre son sang-froid après un aussi vigoureux assaut.

Notre Falaisien, par bonheur, n’était pas un petit-maître. Un petit-maître eût terminé sa carrière au fond de ce ravin visqueux. Lui ne se découragea pas. Il lutta avec énergie contre le courant qui l’entraînait, contre le torrent de vase qui obstruait ses narines, bouchait ses oreilles, entrait dans sa bouche et occlusait ses yeux.

Il parvint à reprendre pied. Sa position n’en fut pas améliorée, car c’était précisément à l’endroit où tombait une grêle de pierres lancées par ses agresseurs.

Il est vrai qu’elles pleuvaient au hasard ; par exemple le hasard ne fut pas favorable au pauvre Amable, qui reçut sur la tête un pavé assez lourd dont il eut du moins la chance de ne pas être assommé.

Par contre, il en ressentit un violent étourdissement qui mit un singulier chaos dans ses idées et l’empêcha de songer, comme son compagnon, à se réfugier sous le tablier du pont.

Peut-être eut-il un instant le regret de n’être pas né au pays de Bretagne où se fabriquent les caboches incassables.

Courbé en deux, pour ne pas être aperçu et lapidé, il put toutefois se traîner à grand’peine. Se soutenant de la main au mur de pierre qui formait la berge et se poursuivait sur une distance de cent cinquante pas environ en aval et en amont de la passerelle, ce fut ainsi qu’il remonta le courant.

Le sang qui coulait de son front l’aveuglait. De plus il lui fallait prendre