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LA GRANGE-BATELIÈRE

peut-être tué avant de le précipiter en même temps que moi dans l’égout… Prenez des torches, amigos, et venez avec moi ; j’ai l’espoir que nous pourrons le retrouver vivant.

Il paraissait si ému en prononçant ces paroles que les soldats commencèrent à s’intéresser à lui.

— Qui es-tu ? lui demanda le sergent.

— Cocardasse junior, maître es armes, première rapière de France après un autre que vous ne connaissez pas. La seconde est celle de mon petit prévôt frère Amable Passepoil, qu’il s’agit d’aller chercher dedans l’eau du canal.

— Tant pis pour lui s’il y est resté, mon brave, fit le sergent ; nous n’y pouvons rien.

— Oh ! oh ! gronda le Gascon dont la tête s’échauffait et dont la diplomatie était à bout ; donnez-moi de la lumière, j’y retournerai seul. Si Cocardasse junior il ne remuait pas le ciel et la terre pour retrouver son petit Passepoil, il n’oserait jamais se représenter devant Lagardère !…

— Eh !… que parles-tu de Lagardère ?…

— Té ! Lagardère, c’est la tête ; Cocardasse et Passepoil ils sont les bras. Si vous avez entendu parler du Petit Parisien, sûrement qu’on vous a touché un mot de ses deux prévôts.

— C’est pardieu vrai, dit le sergent en se frappant le front. Je sais que ce sont deux braves ; en serais-tu un, par hasard ?

— Va bien ! j’ai cet honneur !… Mais nous perdons notre temps, mon bon, tandis que c’ta couquin il agonise peut-être…

Sur l’ordre du sergent, quatre hommes saisirent des torches et suivirent Cocardasse.

Ils fouillèrent les abords du canal. Le prévôt remit les pieds dans l’eau, descendit et remonta le courant, penché sur la surface gluante et puante, remuant la vase à chaque pas.

Il eût voulu tout au moins retrouver le cadavre du Normand, le prendre dans ses bras, l’emporter. Ceux qui l’aidaient dans sa triste besogne avaient maintenant conscience de ce qu’il y avait de sérieux dans le rôle de cet homme cherchant, au milieu de la nuit, à la lueur des torches, le cadavre de son ami.

Le spectacle était à la fois impressionnant et poignant. La voix de Cocardasse, s’élevant de temps en temps, lugubre et chevrotante, faisait tressaillir ses compagnons.

Appels, recherches et lamentations tout fut inutile.

L’égout garda son secret.

La tête basse, les yeux humides, le pauvre soudard regagna sans mot dire la porte de Richelieu.

Là, il remercia les soldats ; leur mit dans la main quelques écus pour boire ; et dans l’aube naissante, à travers les rues désertes, il se dirigea lentement vers l’hôtel de Nevers pour y porter la fatale nouvelle de la disparition de Passepoil.