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COCARDASSE ET PASSEPOIL

— Mathurine ?… Je me souviens, maintenant… Passepoil l’a enlevée !

Ce qu’il avait prévu arriva. L’hôtelière se rua sur lui sous l’empire d’une colère effroyable ; mais déjà les jeunes gens étaient loin, tout au moins hors de la portée d’une balle.

Peu leur importait à présent ce qui se passerait au Trou-Punais. Mathurine n’y était pas, ils en étaient sûrs ; leur unique souci était donc de l’empêcher d’y rentrer.

C’est dans ce but que durant toute la matinée ils rôdèrent aux alentours, les yeux constamment fixés sur la porte du cabaret.

Ils ne savaient pas trop ce qu’ils feraient d’elle s’ils venaient à la rencontrer maintenant qu’il faisait grand jour et la meilleure solution pour eux à ce difficile problème fût que Mathurine ne reparût pas. Ils n’en eussent pas moins donné gros pour savoir ce qu’elle était devenue.

Revenons un peu aux prévôts, que nous avons laissés en si mauvaise posture.

Certes, si les eaux de l’égout de Montmartre étaient aussi noires que celles du Styx, le fleuve infernal avait au moins cette supériorité qu’il était sillonné par une barque, celle de ce vieil avare de Caron. En faisant la rencontre du sombre nocher, il est fort probable que Cocardasse lui eût tordu le cou pour s’emparer de sa nacelle et naviguer à l’opposé de l’enfer.

En tombant dans le canal, Cocardasse ne rencontra aucune barque, c’est vrai, mais il eut la chance d’y choir les pieds les premiers, et ce hasard lui épargna le chagrin d’ingurgiter une seule goutte de l’infect liquide.

Le Gascon était sauvé.

L’eau ne lui montant que jusqu’au milieu du corps, en deux enjambées il gagna le dessous du pont et s’arcbouta contre l’un des piliers. Ainsi bien à l’abri et sûr de pouvoir se tirer d’affaire, il put entendre tout au long la conversation de ses ennemis et connaître leurs dispositions à son égard.

Plusieurs fois, à vrai dire, il lui fallut se mordre la langue pour ne pas laisser échapper un juron. Cependant, comme la terrible Pétronille avait glissé hors de sa main au moment où une brutale poussée le faisait dégringoler le talus, mieux valait pour lui rester muet un instant, d’autant plus qu’on le tenait déjà pour défunt.

Les choses qui nous entourent influent souvent sur nos idées ; celles de Cocardasse étaient plutôt sombres. Si sa langue restait inactive, il n’en était pas de même de son cerveau qui, fort heureusement, pouvait travailler sans bruit et échafaudait un nombre incalculable de projets de vengeance plus noirs que la fange dans laquelle il prenait un bain si désagréable.

Son amour-propre se ressentait vivement de ce qu’il avait été joué par ces coquins et plus encore de la honte qu’il aurait à se montrer dans l’état où il lui faudrait sortir de ce cloaque.

— Cornebiou ! se disait-il à part lui, tandis que Gendry et ses acolytes se congratulaient au-dessus de sa tête, vous verrez si Cocardasse junior il a bu son dernier coup. Par le diable ! c’est dans votre propre sang que vous barboterez avant qu’il soit vingt-quatre heures, et m’est avis que vous ne m’entendrez pas faire votre oraison.

Une chose néanmoins le fit sourire : ce fut quand Gendry se mit à conter par quel coup de maître il avait enferré le Gascon.

— Sandiéou ! Songea-t-il avec mépris, lou couquin, il est aussi vantard que