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COCARDASSE ET PASSEPOIL

— Je ne crois pas, expliqua Pinto, car c’est une médiocre buveuse. À mon avis, elle serait plutôt allée s’enfermer dans sa chambre.

Jugan fit un geste de dénégation en montrant la porte d’entrée qu’on avait pu franchir sans qu’elle fût défendue ni par ses barres ni par ses verrous.

— Alors, ce serait que… murmura l’Italien qui n’osa pas achever.

Tous les quatre se regardèrent.

Comme ils voulaient en avoir le cœur net, les jeunes gens se munirent d’un flambeau et visitèrent la cave. Ils n’y trouvèrent que des rats qui s’éclipsèrent à leur approche.

Avec de grandes précautions, pour ne réveiller personne, ils gravirent ensuite l’escalier qui menait à la soupente occupée la nuit par la servante. Ce réduit était vide et le lit n’avait pas été touché.

Ils redescendirent plus inquiets qu’auparavant.

— L’oiseau s’est envolé, dit Yves de Jugan à mi-voix, et il a emporté notre secret.

— La coquine a prévu que nous reviendrions et qu’il pourrait lui en cuire ajouta Pinto.

Gendry furieux grommela :

— Elle ne peut être allée bien loin à cette heure. Mon idée est qu’elle s’est terrée quelque part.

— Que faire ?

On tint assez longtemps conseil. Gauthier et la Baleine étaient d’avis de s’en aller sans pousser plus avant la perquisition, leur présence au cabaret ne pouvant que paraître louche à la Paillarde quand elle se réveillerait.

— Et nous ? questionna Pinto.

— Vous autres, restez là. Si la fille reparaît avant le jour, vous savez ce que vous aurez à faire et notre présence n’est pas nécessaire. Mais pas une minute d’hésitation : la justice expéditive, sans bruit, est la meilleure.

— Et si elle ne revient pas ?

— Si elle ne revient pas, vous expliquerez à sa maîtresse qu’elle s’est fait enlever par les prévôts et vous décamperez ; il ne vous restera plus rien à faire ici. Quant à Mathurine, nous la chercherons… et nous la retrouverons.

Ils burent ce qui restait au fond des brocs et s’en allèrent, laissant leurs deux sous-ordres un peu perplexes.

— Elle va crier, se débattre, murmura Pinto, et ce ne sera pas trop de nous deux pour en avoir raison, surtout si quelque arme se trouve à sa portée.

— Il ne faudra pas lui laisser le temps de s’en saisir et de la larder de coups d’épée avant qu’elle puisse crier.

— J’aurais préféré que les autres se chargent de cette besogne. Je n’ai jamais tué de femmes et celle-là est vraiment trop jolie pour que nous lui fassions la vie si courte.

— Je suis bien de ton avis, Raphaël ; mais le seul moyen de nous y soustraire serait qu’elle ne revint pas.

Gendry avait eu tort de les croire assez endurcis dans le crime pour commettre une action aussi lâche. Par le fait, ils avaient des scrupules ; peut-être même Jugan regrettait-il que la balle qui avait failli le tuer ne lui permît pas de pardonner à Mathurine.

La jeunesse se laisse volontiers aller aux bons sentiments, même quand elle a les mauvais pour règle de conduite.