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LA GRANGE-BATELIÈRE

— C’est le moment de la faire connaître, mon bonhomme, conseilla l’hôtelière assez durement ; parle.

— S’ils étaient blessés, les dames pour lesquelles ils avaient exposé leur vie n’ont pas voulu les abandonner et les ont emmenés dans leurs carrosses… C’est inutile de les chercher ici…

— Tu as peut-être raison, approuva la Paillarde après une minute de réflexion.

Et sur un ton farouche, elle murmura :

— Pourtant, j’aurais voulu les soigner moi-même.

Elle n’ajouta pas que c’était pour ce qu’elle eût pu y gagner.

Gauthier Gendry s’était rangé à l’opinion commune, mais il n’en éprouvait pas le besoin de mettre les choses à son propre point de vue à lui.

— Cela est peut-être vrai, murmura-t-il ; cependant, qui nous prouve qu’ils n’ont pas pu mourir en route ?

En commentant cette dernière hypothèse, on s’en retourna au Trou-Punais et le long du chemin Gendry reprit ses lamentations sur le sort de ses amis. En quittant la Paillarde à sa porte, il lui promit de se renseigner sur ce qu’il était advenu d’eux et de le lui faire savoir dès qu’il aurait pu en être informé. Puis s’en alla, suivi de la Baleine, avec un pleur simulé au bord des paupières.

C’est ainsi que Cocardasse et Passepoil, à l’heure où ils goûtaient toutes les délices de la bonne chère et de la belle chair, eurent leur oraison funèbre, ce qui ne les empêcha pas de continuer à se porter comme le Pont-Neuf.

Si, plus tard, ils devaient rencontrer Gauthier Gendry, ils lui feraient bien chanter une autre antienne.


X

CHEZ LA PAILLARDE


— Or donc, ma caillou, disait Cocardasse à son aller ego en franchissant de compagnie la porte de Richelieu, qu’il va faire une nuit splendide !…

— La nuit est propice aux amours, murmura frère Passepoil, dont le cœur était toujours aussi prompt à s’enflammer.

— Eh ! vivante étoupe que tu es, là où nous allons, c’est un peu le temple de l’Amour… il y a là des dames qui ne doivent pas dédaigner la bagatelle…

— C’est de leur âge… et du mien…

— Ver !… Je crois que quand ta mère elle te mit bas le long d’un pré de Normandie, la mienne elle était bien près d’en faire autant sur les rives de la Garonne.

— Possible… mon noble ami… mais j’ai le cœur toujours jeune… et j’ai bien peur que le tien ne soit noyé dans le liquide.

— Que non, petit ; que non !… Un homme est bien formé, vois-tu, se distingue des moins bien venus en ce qu’il sait boire… Il faut être jeune et sans