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COCARDASSE ET PASSEPOIL

Baleine, dès qu’ils se seraient mis en route pour rechercher les prévôts. Si l’on ne retrouvait que leurs cadavres, la besogne serait toute faite.

L’hôtelière mit un falot dans les mains de Pinto, un autre dans celles du coupe-jarret. Elle-même, un pistolet au poing, marchait derrière celui-ci.

— Préparez des lits, dit-elle aux servantes ; s’ils sont seulement blessés, nous les rapporterons ici. Allons, en avant, et par le plus court chemin.

L’étrange cortège se mit en route, à la lueur vacillante des falots, et, dans la nuit sans lune, il présentait un aspect lugubre.

Moins d’un quart d’heure après, on se heurta à un cadavre qui grimaçait.

— Bon, et d’un, fit la Paillarde après l’avoir examiné. Ce n’est pas ce que nous cherchons.

Le sol était piétiné ; on enfonçait dans la vase mêlée de sang.

— Un autre, dit la femme en poussant un nouveau cadavre du pied.

— Je le connais, s’exclama le malandrin, il doit être frappé au front.

— C’est de la besogne proprement faite, railla la Paillarde après s’être baissée pour constater. La main qui a porté ce coup-là doit être habituée à expédier des gentilshommes sans détériorer leur pourpoint.

On compta cinq corps presque déjà froids, mais on eut beau explorer les environs, on n’en trouva pas d’autres.

— Hé ! là !… que cherchez-vous donc, les camarades ? demanda une voix par derrière.

C’étaient Gendry et la Baleine qui arrivaient à la rescousse.

L’hôtelière les toisa :

— Qu’est-ce que vous voulez, vous autres ?

— Holà ! ne vous fâchez pas, la petite mère !… Est-ce que vous auriez perdu des amis là dedans ? Si vous avez besoin de nos services, nous voilà à votre disposition.

— Nous n’avons plus besoin de personne, grogna la femme.

Mais Gendry ne l’écoutait pas et se faisait narrer complaisamment par Yves de Jugan ce qui avait eu lieu.

— Alors il en manque deux à l’appel ! demanda-t-il.

— Oui… Cocardasse et Passepoil…

— Hein !… vous dites ?… Cocardasse et. Passepoil !… Mais ce sont de mes amis et je serais fort marri qu’il leur fût arrivé malheur. Cherchons bien, mes enfants, afin de leur porter secours au plus tôt.

Le seul témoin du combat crut devoir expliquer :

— Peut-être n’étaient-ils que blessés, et encore je ne sais pas.

— Blessés !… mais alors ils auraient pu se traîner quelque part.

Gauthier Gendry prit le falot des mains de Pinto et se mit à fouiller les moindres recoins, jusqu’aux touffes d’ajoncs. Il eût payé cher le plaisir de découvrir Cocardasse et Passepoil, ou tout au moins l’un des deux, étendus sans vie sur le dos, les bras en croix.

Il fallut bientôt y renoncer, et l’ex-sergent aux gardes, d’une voix qu’il s’efforçait de rendre émue, se mit à faire la panégyrique de ses prétendus amis. Un peu plus, il eût versé des larmes sur leur fin malheureuse.

Cependant le malandrin, qui cherchait toujours sous la surveillance de la Paillarde, se frappa soudain le front :

— J’ai une idée, dit-il.