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LA GRANGE-BATELIÈRE

— Ils viendront, dit-il, j’en suis sûr. Taisez-vous, voici quelqu’un.

En effet, un homme entra, tout en remettant son épée au fourreau. Il était un peu pâle et semblait avoir besoin de se réconforter au plus vite.

Malheureusement, il ne ressemblait en rien ni à Cocardasse ni à Passepoil, et il n’était pas besoin de le regarder à deux fois pour s’apercevoir qu’il appartenait à l’une de ces bandes de coupe-jarrets toujours embusqués aux alentours de l’égout.

Sa personne et son accoutrement ne payaient pas de mine. Pinto lui ayant demandé ce qui venait de lui arriver, l’inconnu le dévisagea avec méfiance et lui répondit d’un ton rogue :

— Rien, ou, dans tous les cas, c’est mon affaire.

Puis il alla s’asseoir à une table, dans le fond de la salle, et appelant la Paillarde, il commanda :

— Donne-moi à boire et vivement.

— Oh ! oh !… fit celle-ci ; il faudrait voir à prendre un autre ton… Avant de commander si fort, as-tu de l’argent ?

— De l’argent, non… mais j’ai de l’or, et qui n’est pas passé par l’hôtel de la Monnaie.

Il fouilla dans sa poche et en tira une chaîne de femme qu’il fit sauter dans sa main, en disant :

— Regarde… cela vaut de quoi boire toute la nuit, moyennant quoi tu pourras te la passer au cou.

La Paillarde voulut soupeser la chaîne. L’homme ferma la main en ricanant :

— Bas les pattes, ma grosse, tu l’auras quand je n’aurai plus soif.

— Où as-tu pris cela ? demanda-t-elle.

— Si on te le demande…

L’hôtesse planta ses poings sur ses hanches robustes.

— Pas de cachotterie, dit-elle. Tu viens de voler ça, l’ami, et pas bien loin d’ici. J’aime à savoir ce qui se passe autour de mon auberge, quand cela serait que pour me distraire, moi qui ne mets jamais les pieds dehors.

— Il fallait y venir voir.

— J’aime mieux que tu dises ce que tu as vu, toi.

— Moi, je n’ai rien vu.

— Rien vu !… toi ?… Tu sais, mon petit, ce n’est pas à la Paillarde qu’on en conte et ce n’était pas pour abattre des noix que ton épée était tirée tout à l’heure.

Le malandrin se rebiffa :

— Je te dis que je n’ai rien vu, puisqu’il faisait noir. Laisse-moi la paix, ou je m’en vais ailleurs. Si je ne veux rien dire, ce n’est pas toi qui me feras jaser, la commère !

— Erreur profonde ! s’exclama la Paillarde, qui, d’un mouvement imprévu, arracha sa rapière du fourreau.

L’ayant ainsi désarmé, elle fit un pas en arrière et, de sa main libre, tirant un pistolet de son corsage, elle en braqua le canon sur la tempe de son singulier client.

— Tu n’es pas le premier ni le dernier, ajouta-t-elle, que je ferai causer malgré lui. Et je t’engage à ne pas te faire prier davantage si tu tiens à ignorer les autres leçons dont je sais faire usage pour délier les langues.